

Histoire culturelle des comic books aux États-Unis
Pays : Nantes
Editeur : Editions du Temps
Année d'édition : 2005
Première édition : 2005
478 pages
17 x 24 cm
Langue : Français
ISBN : 9782842743093
Gros ouvrages qui tente de faire la synthèse de « soixante-dix ans d'image » : il s'agit de « faire l'histoire culturelle d'un type de publication situé [...] au plus bas niveau de la hiérarchie culturelle aux États-Unis ». Reconnaissant l'importance des travaux du suisse Töpffer, qui furent diffusés outre-Atlantique via des éditions contrefaites, l'auteur de cette somme s'efforce de tracer un panorama complet du "comic book", dont on sait qu'il représente l'une des deux grandes facettes éditoriales de la bande dessinée américaine, au côté du "comic strip".
L'exemplaire actuellement en vente est un occasion en excellent état.
Notule de lecture de François Peneaud
Notule de lecture de Harry Morgan
Notule de lecture de François Peneaud :
L’histoire culturelle conçue, ainsi que le définit Pascal Ory, comme une « histoire sociale des représentations », se devait de s’intéresser aux comic books dont les personnages envahissent aussi bien le domaine de l’édition, que ceux du cinéma, des jeux électroniques ou encore des produits publicitaires. Jean-Paul Gabilliet s’emploie avec brio à combler ce manque dans un livre de référence qui fera date.
L’histoire de la bande dessinée américaine est largement méconnue en France, un pourcentage finalement faible de la production depuis les débuts dans les années 30 ayant été traduit. Le livre de Jean-Paul Gabilliet propose aux amateurs de découvrir l’importance culturelle des comics, de la grande époque où ceux-ci étaient remplis de super-héros patriotiques combattant Allemands et Japonais et où leur lecture était une activité de masse, jusqu’à la situation paradoxale d’aujourd’hui, où certains personnages comme Superman ou Batman sont connus du monde entier, quand la plupart de leurs comics ne se vendent qu’à quelques dizaines de milliers d’exemplaires.
Divisé en trois parties qui se complètent et se répondent, ce livre commence par le commencement : Jean-Paul Gabilliet, dont nous vous proposons une interview, analyse tout d’abord dans « Soixante-dix ans d’images » une histoire qui débute pour de bon (après quelques précurseurs au XIXe siècle) avec les proto-comics du début des années 30, essentiellement des collections de strips parus à l’origine dans les journaux, puis avec les premiers comics contenant du matériel inédit - la naissance des super-héros avec Superman en 1938 n’étant qu’un des aspects d’une bande dessinée déjà variée, avec la présence importante de bandes humoristiques.
Dès le début du livre, le lecteur se rend compte de ce qui va en faire la spécificité : l’auteur replace ces premières années dans un contexte plus large, celui de la culture populaire, alors occupée par la radio et les pulps, ces livres imprimés sur du papier de mauvaise qualité et écrits le plus souvent à la chaîne, qui mettaient en scène des aventuriers et justiciers [1]. L’auteur en profite d’ailleurs pour démonter quelques mythes, comme celui de la responsabilité des comics d’aventure dans la disparition progressive des pulps : ceux-ci ont plutôt été victimes de la concurrence des livres de poche et du développement de la télévision dans les années 50, d’après l’auteur. Comme on le verra souvent dans ce livre, la perspective élargie à l’ensemble de la culture populaire est particulièrement féconde.
Cette étude historique se poursuit en passant en revue les époques successives qui ont vu le succès de différents genres comme pendant longtemps les comics de romance, avec un chapitre sur les années 50 et la mise au pas de l’industrie des comics grâce à l’avènement du comics code, code de bonne conduite mis en place par plusieurs des plus importants éditeurs de l’époque suite aux enquêtes officielles sur le danger des comics pour la jeunesse [2].
Sans faire l’impasse sur la contribution des artistes qui ont façonné les genres et personnages à succès au travers des décennies, l’auteur se consacre surtout à l’impact culturel des comics, à la dimension hautement commerciale qui, grâce au fait que presque tous les personnages connus appartiennent aux éditeurs et non aux auteurs, a amené petit à petit à la domination quasi-exclusive du marché grand public par les comics de super-héros, pourtant moribonds avant le tournant des années 60 et la naissance des super-héros Marvel, plus en prise avec leur temps et qui rencontreront un grand succès. Les tendances actuelles du marché des comics, entre développement des graphic novels [3] et présence enfin effective en librairie généraliste [4], sont enfin présentées de façon claire et argumentée.
« Producteurs et consommateurs », la deuxième partie du livre, met en place le triangle de base, éditeurs-créateurs-lecteurs, en analysant les points de vue de chacuns, leur évolution et leurs relations. Les échecs successifs depuis les années 50 des tentatives d’organisation des auteurs, longtemps considérés comme de la chair à canon par les éditeurs [5], sont bien étudiés et témoignent des spécificités culturelles du comic book. Le lectorat général est décrit sous l’angle de l’évolution à travers les décennies, la lecture des comics, d’abord passe-temps partagé par les générations, étant devenue un sport de fan, au statut du même niveau que celui des trekkies ou des fous de Star Wars - les choses évoluant encore depuis quelques années avec la vague d’adaptations cinématographiques de BD, et pas seulement de séries de super-héros, qui amènent les médias généralistes à parler autrement de bande dessinée.
Le statut social de la bande dessinée aux États-Unis est d’ailleurs l’objet de la troisième et dernière partie, « Une difficile consécration », la plus clairement orientée vers la sociologie, qui utilise certains concepts issus de cette science pour analyser l’évolution de la place des comics dans la culture américaine, un intéressant et fin examen des différences entre visibilité, reconnaissance et légitimation culturelles constituant le coeur de cette partie qui revient en détail sur les grands moments des attaques contre la bande dessinée aux USA, depuis « l’hystérie de 1948-1950 » jusqu’aux cas d’attaque judiciaire contre des artistes contemporains - et surtout contre des gérants de boutique spécialisées, accusés de vendre du matériel pour adulte à des enfants. On comprend donc que l’existence d’oeuvres comme le Maus de Art Spiegelman ou le From Hell d’Alan Moore et Eddie Campbell ne calme pas les ardeurs de ceux qui, nombreux aux États-Unis, considèrent toujours que la BD ne peut s’adresser qu’aux enfants et adolescents, alors que la majorité du lectorat actuel de base des gros éditeurs que sont Marvel ou DC sont plutôt des jeunes adultes et des adultes ayant grandi avec les comics de super-héros.
Le fandom (l’organisation des amateurs en groupes qui publient divers fanzines et seront à l’origine des comics conventions, les festivals de BD) a lui aussi droit à une analyse qui comprend celle des revues spécialisées, dont le nombre et souvent la qualité connaissent une progression importante depuis plusieurs années, cette présentation faisant elle aussi appel à divers outils théoriques qui font le prix de cette étude.
Enfin, un chapitre qui donne quelques pistes de comparaison avec la bande dessinée française et les « arts consacrés » se termine par une petite histoire de l’historiographie des comics, qu’elle soit d’origine interne (écrite par des fans) ou externe (universaitaire ou journalistique). En annexe, on trouvera les différents états du comics code qui a connu bien des changements depuis sa création et a d’ailleurs été abandonné récemment par Marvel au profit d’un système interne de graduations inspiré de celui de l’industrie du cinéma (ce qui leur a valu quelques ennuis et un changement de dénominations).
Par sa richesse, sa prudence intellectuelle et sa largeur de vues, le livre de Jean-Paul Gabilliet est une mine d’informations pour les néophytes, mais également un moyen pour les amateurs éclairés d’approfondir leur réflexion sur les spécificités culturelles du comic book américain.
[1] Parmi les plus connus, on peut citer The Shadow (1931), qui aura une influence certaine sur les créateurs du personnage de Batman (1939).
[2] On retient surtout de cette époque la disparition des comics d’horreur de la EC, mais la réalité est évidemment bien plus complexe, les gros éditeurs étant bien contents de pouvoir établir un peu plus leur mainmise en se dissociant de concurrents gênants.
[3] Albums entre 80 et 500 pages, présentant aussi bien du matériel inédit que la reprise de bandes initialement parues en fascicules.
[4] Les comics étant depuis les années 70 surtout distribués dans un réseau de librairies spécialisées qui sauvèrent probablement en leur temps le marché, mais qui depuis un moment l’enferme dans un ghetto culturel.
[5] Leur statut n’est d’ailleurs toujours pas franchement enviable, sauf pour les stars que s’arrachent les éditeurs et qui bénéficient de contrats d’exclusivité proposant entre autres des couvertures maladies précieuses dans un pays comme les États-Unis.
Source : ActuaBD.com - (c) François Peneaud - 2005
Notule de lecture de Harry Morgan et Manuel Hirtz :
Version autoéditée d’une thèse de doctorat, Le Comic-book, objet culturel nord-américain, Lille III, 1995, considérablement remaniée et mise à jour. Le livre apparaît essentiellement comme une scrupuleuse compilation d’ouvrages spécialisés, de revues d’études nord-américaines et de sites internets, entreprise par un fan bibliomane et animé de bonnes intentions, mais incapable de tout recul critique. L’histoire des comic books présentée en première partie a le défaut de n'être reliée à rien, ni à l'histoire du comic strip, ni à l’histoire des publications enfantines et/ou populaires nord-américaines (le St Nicholas, les dime novels et les pulps sont cités en passant). La deuxième partie, consacrée aux aspects économiques de l'industrie des comics, ne convaincra pas un lecteur tant soit peu économiste : incapable de prendre en compte la complexité du mode de production d’un bien culturel, l'auteur recycle des oppositions superficielles (standardisation industrielle vs. intégrité artistique) et une légende héroïque (le combat des auteurs pour leurs droits), sans en percevoir les contradictions (des auteurs indépendants, starifiés et richissimes produisent parfois de complètes inepties). La troisième partie, la plus intéressante et la seule qui utilise des sources primaires, est pour l’essentiel une étude de la campagne anti-comics des années 1950. Paradoxalement, l’auteur s’écarte ici radicalement de la version du fandom, en s'efforçant contre toute vraisemblance de démontrer l'innocuité des censeurs. L'ouvrage de Gabilliet représente à cet égard l’équivalent strict de celui de Crépin sur la campagne anti-BD française. Cependant, dans le cas de Gabilliet, le paradoxe n'est qu'apparent, car sa thèse ramène l’auteur à sa position de fan : le Comics Code serait une « bonne chose » puisqu'il aurait permis l'essor des superhéros Marvel.
Source : Le Petit critique illustré - (c) PLG, Harry Morgan et Manuel Hirtz - 2005
Introduction p. 9
Le média subalterne p. 9
Qu’est-ce que la bande dessinée ? p. 11
Les comics books, produits culturels du XXème siècle p. 17
Première partie : soixante-dix ans d’images p. 21Des comics au comic book (1842-1936) p. 23Le XIXème siècle : les précurseurs p. 23
Le rôle de la presse p. 25
Publier de l’inédit p. 33
Les débuts d’une industrie : les comics magazines (1936-1940) p. 35Les pulps et leurs publics p. 35
Naissance de l’industrie du comic book (1936-1939) p. 36
Récapitulons p. 39
Superman, Action Comics et les justiciers costumés p. 40
Les comics books en guerre (1940-1945) p. 43La concurrence avec la presse quotidienne p. 43
Les comic books et le conflit mondial p. 45
Le positionnement en direction des préadolescents p. 46
Les personnages juvéniles p. 47
L’humour p. 48
Histoire et littérature : les comic books costumés p. 51
Toujours plus : l’apogée et la chute (1945-1954) p. 53L’âge d’or commercial p. 54
La conquête du public féminin p. 56
La relève des super-héros p. 60
L’esprit du temps p. 63
Haro sur le gangster ! p. 64
L’héritage de William Gaines : EC p. 66
Victimes de la guerre froide p. 68
Déclin et renaissance (1955-1962) p. 70La transition du Comics Code p. 70
La redistribution des cartes p. 73
Un nouveau paysage p. 79
Le retour des héros p. 82
La renaissance de Marvel p. 85
1962 : la fin d’une époque p. 86
L’âge de l’innovation (1963-1969) p. 88L’apogée économique des super-héros p. 89
Le grand saut en avant p. 92
Les comix p. 94
Le mouvement underground et les comic books p. 96
Naissance des illustrés underground p. 98
La mise en avant des créateurs p.1 01Recherches, faux pas et développement (1969-1979) p. 106
Une décennie d’instabilité pour le secteur grand public p. 106
Des comics en prise sur leur époque p. 109
Variations autour du super-héros p. 113
Un média de seconde main p. 115
L’agonie de l’underground p. 117
L’apparition des alternatifs p. 121
La reprise des années 80 (1980-1993) p. 123L’adaptation de l’offre à la demande p. 124
La personnalisation de la création p. 127
Le nouveau débat sur la censure p. 128
Le renouveau de DC p. 131
Le recul de Marvel face à DC p. 132
Les petits éditeurs p. 134
Fin de siècle et début de siècle (1993-..) p. 138Les graphic novels p. 138
La production grand public p. 142
La production d’auteur p. 147
Comic book story n°1 p. 150Deuxième partie : producteurs et consommateurs p. 159La production p. 161Les ateliers de dessin p. 161
L’ère des contrats p. 167
La fabrication p. 174
Le style “maison” p. 178
La méthode Marvel p. 179
“Fun in four colors” p. 184
Le commerce des comic books p. 188La publicité p. 188
La distribution traditionnelle p. 193
La distribution directe p. 199
Un système sujet à des crises cycliques p. 203
L’effondrement de 1993-1996 p. 205
Les librairies spécialisées p. 209
Les créateurs p. 218Quatre générations de créateurs p. 219
La formation p. 230
L’impossible action collective p. 237
The society of Comic Book Illustrators p. 239
DC, 1966 : la “révolte” des scénaristes p. 243
The academy of comic Book Arts p. 246
The United Cartoon Workers of America p. 249
The comic Creators Guild p. 251
Les lecteurs p. 255“Good reading for the millions” p. 255
Les lecteurs de la Dépression p. 259
L’âge d’or p. 262
La victoire de la télévision p. 267
Un média pour fans p. 271
Vers de nouveaux lecteurs p. 274
Comic book story n°2 p. 281Troisième partie : une difficile consécration p. 293L’appel à la censure p. 295
L’hystérie de 1948-1950 p. 296
La campagne d’opinion de 1952-1954 p. 301
Les séances de la commission Hendrickson p. 303
La phobie de la délinquance juvénile p. 308
Les arguments des intellectuels p. 311
Artistes et modèles p. 319
L’apaisement des passions p. 322
Les arguments contemporains contre les comic books p. 325
La liberté d’expression comme discours identitaire p. 328
La consécration interne p. 331Visibilité, reconnaissance et légitimité culturelles p. 331
Les prix p. 337
Les fans p. 344
Le premier comics fandom (années 30-années 50) p. 349
La seconde vague du comics fandom p. 352
Les conventions p. 356
Les revues spécialisées p. 360
La consécration externe p. 371Le champ de la bande dessinée en France p. 371
Le regard des arts consacrés p. 379
Un nouveau segment du marché de l’art : les dessins originaux p. 386
L’historiographie des comics p. 390
Popular culture studies et bande dessinée p. 396
Une légitimation universitaire imparfaite p. 406
Conclusion p. 411Annexe : Textes des principaux codes d’autorégulation du secteur des comics books p. 417Code de l’Association of Comic Magazine Publishers (1948) P. 417
Code de la Comics Magazine Association of America (versions de 1954 et 1971) p. 418
Code de la Comics Magazine Association of America (versions de 1954 et 1971) p. 419
Glossaire p. 431
Essai bibliographique p. 435
Remerciements p. 451
Index p. 453
Aux États-Unis, les comic books sont un secteur du monde de l'édition et un phénomène culturel. C'est dans les années 30, au cœur de la Dépression économique, qu'apparurent les fascicules agrafés qui prirent le nom de ''comic books'', Jean-Paul Gabilliet retrace l'épopée éditoriale de ces parutions, avec ses pics, ses crises, ses rebondissements et ses acteurs souvent hauts en couleurs.
L'auteur nous emmène dans les coulisses commerciales et économiques d'un secteur de l'industrie culturelle en esquissant tout d'abord une typologie des créateurs de comic books à travers le temps: leurs origines sociales, leurs formations scolaires, leurs combats (presque toujours vains) pour faire valoir leurs droits auprès d'éditeurs seulement soucieux de rentabilité. Puis, à partir d'une batterie d'enquêtes et de sondages dont les plus anciens remontent aux années 20, il répond à la question: '' Qui lit des comic books?'' Enfin, il précise la position de la bande dessinée dans la hiérarchie culturelle aux Etats-Unis : les discours de censure contre les illustrés, stridents au cœur de la guerre froide et plus insidieux aujourd'hui. Pour les curieux et ls collectionneurs, le livre contient aussi eux bandes dessinées, l'une fantastique, l'autre sentimentale, reproduites en noir et blanc à partir de leurs planches originales. Des Comics et des hommes est un ouvrage grand public qui pourra s'avérer extrêmement utile aux chercheurs francophones désireux d'approfondir leur connaissance de ce domaine encore peu exploré de l'histoire culturelle américaine.
Jean-Paul Gabilliet est maître de conférences en études américaines à l’université Michel de Montaigne Bordeaux 3.
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