L'enquête sur l'art de Marc-Antoine Mathieu

C'est une étude savante et bien pensée que nous propose Pascal Krajewski, au travers d'un ouvrage qui aborde l'intégralité de l'œuvre atypique de Marc-Antoine Mathieu, généralement connu pour les récits de Julius Corentin Acquefacque (bien que l'auteur ne puisse être réduits à ces seuls livres). Le propos est dense, le livre se lit doucement, il nécessite de l'attention. D'autant que l'auteur puise l'essentiel de ses sources chez les philosophes et les spécialistes de la littérature non dessinée. Il suffit de parcourir les références amenées par les notes pour s'en convaincre : outre les immanquables Deleuze et Derrida et l'attendu Kafka, on croisera ici Perec, Artaud, Genette, Propp, Popper, Kant, Hegel, Heidegger, Descartes et bien d'autres. Si cette approche est judicieuse (après tout, Pacôme Thiellement n'hésitait pas non plus à solliciter Nietzsche pour commenter l'œuvre de Mattt Konture), on s'étonne quand même que les références à la bande dessinée soient réduites à leur plus simple expression (Hergé peut-être ?), alors que le parti pris graphique de Marc-Antoine Mathieu, bien discuté par Krajewski, devrait prendre place dans une filiation (Sickles ? Caniff ? Breccia père ? Pratt ? Comès ?).
L'approche est globale, puisque Krajewski interroge le dessin de Mathieu tout comme son verbe, la construction de l'espace comme la conception du temps. Elle est pertinente et rend justice à l'intelligence d'un auteur conceptuel. Reste que le choix de l'enquête, sensé soutenir le mode discursif du livre, probablement avec l'intention de lui donner un peu de légèreté et une tonalité stylistique, paraît artificiel. Rien de gênant cependant, si l'on prend ce travail pour ce qu'il est : un questionnement minutieux et bien outillé d'une œuvre complexe et cohérente.