Traits engagés

Pour faire ce livre, Fabienne Desseux a interrogé 14 dessinateurs de presse (Aurel, Babouse, Berth, Camille Besse, Faujour, Gorce, Goubelle, Gros, Jiho, Kak, Nawak, Pancho, Soulcié et Urbs). Le texte se construit à partir de ces témoignages, qui sont regroupés selon les thématiques abordées. L’autrice ne cherche pas à faire une synthèse, ni à donner son propre avis sur les questions qu’elle aborde, et le propos glisse parfois vers une accumulation de points de vue. C’est par exemple le cas lorsque les 14 dessinateurs sont interrogés sur la définition de ce qu’est un dessin de presse.
Mais cette succession de points de vue n’est jamais lassante, ni fastidieuse, bien au contraire. Ainsi ressort, parfois entre les lignes, la convergence entre deux pratiques qu’on juge souvent distinctes : celle de la bande dessinée et celle du dessin de presse. La plupart des artistes interrogés indiquent qu’ils doivent leur vocation à la lecture de bandes dessinées. C’est le peu d’intérêt qu’ils ont pour le développement de formes longues qui les pousse vers une pratique du cartoon, comme disent les anglo-saxons.
Traits engagés a bien d’autres intérêts de questionner les rapports entre les deux disciplines. Il propose également un véritable état des lieux post-Charlie. Les 14 dessinateurs tirent les conséquence de l’attentat contre le l’hebdomadaire satirique, et leurs avis sont précieux, précisément parce qu’ils sont nombreux et diversifiés. Ainsi, le livre de Desseux permet de prendre toute la mesure de l’assassinat de l’équipe de Charlie Hebdo pour les dessinateurs eux-mêmes. Il met également en évidence les transformations du métier, la disparition de positions professionnelles solides, permettant aux artistes d’envisager sereinement l’avenir. Bien au contraire, tous émettent de sérieuses inquiétudes sur ce que le futur réserve à leur profession.
Également à mettre au crédit de l’ouvrage, les considérations sur le rôle et l’usage des réseaux sociaux. Les réactions en la matière sont très variées, entre un Pancho très méfiant, suspectant des outils de surveillance qui lui évoquent en droite ligne les pratiques totalitaires, et un Jiho ou un Berth, qui constatent des problèmes indéniables, mais qui estiment qu’il est possible de contenir. Tous admettent que l’irruption des réseaux sociaux a changé leur pratique. Mais plus encore, il semble que la confrontation avec ces supports de diffusion engage un questionnement sur la nature du dessin de presse, puisque ces réseaux de distinguent des journaux, ces «  ontextes “fermés“ » où l’on fréquente traditionnellement le dessin d’humour. « Dans un journal, tu parles à un public, note Soulcié. […] Avec Internet, ton dessin peut se retrouver chez des gens qui n’ont ni les armes, ni les références pour te lire. »
C’est encore un des points fort du livre, précisément, que souligner la fausse évidence du dessin de presse. Par sa forme, courte et percutante, il se laisse entendre comme allant de soi, ce qu’il n’est pas. Tous les dessinateurs interrogés par Fabienne Desseux estiment qu’une partie des lecteurs est résistante au second degré, et ne devrait donc pas y être exposés. « Tous les militant se braquent sur le dessin de presse », relève Jiho. Le dessin de presse ne peut s’adresser à tous, il nécessite un apprentissage préliminaire.
En définitive, l’ouvrage ne se lit pas seulement avec plaisir, l’intelligence des propos résonnant avec les très nombreuses illustrations qui les accompagnent. Il pose les bonnes questions et offre une pluralité de réponses qui tracent quelques tendances. Votre libraire le recommande vivement.