Lambil

Avec ce livre d'entretiens, réalisés entre mai 2016 et septembre 2019 par les époux Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault auprès du dessinateur Willy Lambil, la maison Dupuis poursuit la valorisation de ses artistes et de son patrimoine en mettant en avant la troisième génération des grands auteurs qui ont marqué son catalogue. « Soixante-dix ans après son entrée chez Dupuis, [Lambil] apparaît comme l'un des tout derniers représentants des grands dessinateurs classiques de la maison », écrivent ainsi les deux auteurs, lesquels occupent aujourd'hui la place d'historiens officiels de l'éditeur. Si ceux-ci privilégient toujours la forme de l'entretien, qui a leur préférence, les chapitres sont toutefois introduits par quelques pages de mise en contexte, entièrement de leur main. Contrairement à ce que peut laisser entendre le sous-titre du livre, celui-ci n'est pas exclusivement consacré à la série des Tuniques bleues ; il aborde l'ensemble de l'œuvre de Willy Lambil, y compris les premiers récits de Sandy, mais aussi les belles planches animalières créées par le dessinateur belge très manifestement sous l'influence du Pogo de Walt Kelly. Lambil se décrit lui-même comme une sorte de naïf, voire d'ahuri n'ayant que peu conscience de l'endroit où il se trouve et de ce qui l'entoure : « dans le fond, j'ai vraiment vécu une partie de ma vie sans savoir ce que je faisais, où j'allais, pour qui je travaillais et pourquoi je le faisais ! ». Cette posture est d'ailleurs confirmée par les deux auteurs qui, commentant l'apparition de Pauvre Lampil dans les pages de Spirou en 1973, notent ainsi : « d'aucuns prendront dès lors Lambil pour un incurable râleur, voire un misanthrope, ou tout simplement un être désabusé […]. Lambil est ainsi condamné pour l'éternité à incarner une espèce de Schtroumpf grognon, insatisfait de nature ». De fait, le dessinateur belge ne saisit pas l'occasion de cet entretien pour contrebalancer son image légendaire. Il est vrai également que ce qui ne peut manquer de ressortir d'un humour pince-sans-rire dans une posture rigoureusement entretenue n'apparaît pas réellement dans ces pages. Reste que ce qui est touchant, c'est la perpétuelle insatisfaction du dessinateur vis-à-vis de son propre travail, et ceci tout en refusant le qualificatif d'artiste : « je suis un artisan ; ça s'est certain. Mais sûrement pas un artiste ».