La bande dessinée entre la presse et le livre

En une dizaine de chapitres, Benoît Peeters tente de dessiner une histoire de la BD, essentiellement en Europe francophone. Bien écrit et bien illustré, cet abrégé pourrait remplir son rôle s'il ne se faisait pas le miroir des penchants personnels de son auteurs et de sa pratique de lecteur. Cela étant, l'ouvrage en vient à dénaturer l'Histoire qu'il prétend présenter. Si l'auteur annonce d'emblée renoncer à l'exhaustivité, position bien compréhensible au regard du format de l'ouvrage et de sa forme initiale (deux conférences), il aurait dû également indiquer son renoncement à l'objectivité.
Les périodes qui courent du XIXe siècle aux années trente prennent bien en compte les acquis récents en s'appuyant notamment sur les écrits de Thierry Smolderen et les exhumations d'Antoine Sausverd. Mais à compter de l'apparition d'Hergé, les tropismes personnels de l'auteur prennent le dessus et viennent biaiser l'image de l'Histoire du 9e art qui ressort du livre.
Ainsi, le chapitre «L'âge des illustrés », où sont évacués en quelques mots La Semaine de Suzette, L'Illustré ou encore le Dimanche illustré, n'occupe-t-il pas même une page recto-verso. Il n'en va pas de même du chapitre suivant, « Le Reporter du Petit Vingtième », dont 4 des 5 pages sont consacrées à Hergé. Dans le même esprit, le chapitre « Le temps des hebdomadaires » s'attarde sur 5 pages aux magazines Tintin et Spirou, et dédie une maigre demi-page à Vaillant/Pif.
Toujours dans le même registre, on ne peut manquer d'observer que la bande dessinée dans la grande presse (PQN et PQR) est traitée en une maigre demi-page, sans iconographie, alors même que son importance est considérable. Quant aux petits formats distribués en kiosque, ils sont inexistants dans cette histoire de la bande dessinée.
Il est regrettable qu'une maison baptisée Bibliothèque Nationale de France, et qui devrait donc s'ouvrir à l'ensemble des écrits, promeuve aujourd'hui une vision réductrice de l'histoire de la bande dessinée, jetant aux oubliettes (ou plutôt dans la Seine) des milliers de titres qui ont forgé le regard et l'imaginaire d'une grande partie des Français. Et ceci en prenant le complet contre-pied de l'accroche de la quatrième de couverture, sans parler de l'avertissement initial qui promet des synthèses « érudites et à jour ».