Par le pouvoir des dessins animés

Elsa Brants est une « Française et autrice de mangas », et ce livre est un témoignage autobiographique très largement concentré sur son activité de scénariste et dessinatrice de bande dessinée. À bien des égards, il pourra se lire parallèlement au livre de Benoît Barale, La bande dessinée, ou comment j'ai raté ma vie. Les deux artistes français ont sensiblement le même âge, et tous deux ont une amitié très ancienne avec la bande dessinée, choisissant d'y consacrer leur vie en dépit des oppositions parentales et des sacrifices que ce choix implique. Mais si l'engagement initial des deux artistes est comparable, leurs trajectoires diffèrent largement. Surfant sur la vague, protégée par une carapace d'enthousiasme renforcée d'une bonne humeur à toute épreuve, Brants connaît le succès dans le global manga, cette déclinaison mondiale d'une manière japonaise de faire de la bande dessinée.
Comme de nombreux lecteurs de sa génération, Elsa Brants a découvert le manga par le biais des dessins animés japonais, vus et revus à la télévision et sur magnétoscope lorsqu'elle était enfant. C'est cette impulsion initiale qui donne son titre à l'ouvrage, au risque de fournir une information erronée au lecteur qui ne connaîtrait pas l'œuvre de l'artiste : Brants est bien dessinatrice de bande dessinée, et non d'animés. Le rappel des raisons de sa vocation, l'amour pour ces dessins animés, est l'occasion pour l'autrice de rappeler les résistance et les freins qui pesèrent sur la pénétration initiale du manga et de ses formes animées en France. L'occasion également de constater à quel point cette amitié et cette connaissance profonde du manga est teinté par une réception bien française, parfois éloignée de la japonaise. Ainsi en va-t-il par exemple de Ken le Survivant, dont Brants nous dit qu'il était destiné à un public adulte, ce qui ne fut certainement pas le cas, du moins pas pour sa version originelle, en bande dessinée, comme Hiroki Goto le signale dans son livre Jump, l'âge d'or du manga.
Elsa Brants fournit ici des informations détaillées sur sa manière de travailler, sur les différentes étapes du processus créatif, ce témoignage étant assurément l'un des moments précieux d'un livre qui, de manière générale, se lit aisément et avec le sourire aux lèvres. L'autrice donne encore des indications sur sa charge de travail (considérable, puisque les journées font en moyenne 13h, s'étalant entre une matinée très précoce, démarrant à 5h le matin, et une soirée tardive, s'achevant vers minuit), sur sa rémunération, ainsi, quoi que de manière plus ténue, sur ses relations avec ses éditeurs, son public et ses alter ego artistes. Elle consacre également de longs passages à sa participation à des festivals, conventions, ateliers et séances de dédicaces qui forment manifestement une partie notable de son travail, et de sa motivation.