Les métamorphoses de Spirou

Spirou est une série de bande dessinée qui est passée de mains en mains. L’introduction en liste quelques-unes : ce sont celles de Rob-Vel, Blanche Dumoulin, Luc Lafnet, Jijé, Franquin, Greg, Jidehem, Roba, Fournier, Nic, Cauvin, Tome, Janry, Munuera, Morvan, Yoann et Vehlmann. L’ouvrage, édité par les Presses Universitaires de Liège dans la collection « Acme » (qui se consacre à l'étude de la bande dessinée, comme l'expliquent les premières lignes de la quatrième de couverture), fait le projet de se pencher sur la circulation et la transformation de cette œuvre collective et de son principal personnage qui lui donne son nom. Les approches sont nombreuses et variées. Dick Tomasovic note la constance du mouvement dans la série (on grimpe, saute, court…). David Vrydaghs interroge le paradigme de l’aventure, subverti chez Franquin avant d’être réhabilité chez les continuateurs. Geert Meesters creuse son sillon, celui de l’analyse quantitative des évolutions stylistiques (on regrette toujours l’absence de justification des critères retenus pour l’échantillonnage). Olivier Odaert effectue un rapprochement intéressant entre les premiers Spirou de Rob-Vel et Toto, l’autre création du dessinateur français. Il compare les pages de Rob-Vel et celles de l’Américain Martin Branner chez lequel le Français à fait un apprentissage. Les propositions d’Odaert auraient probablement profité d’un travail un peu plus long. Frédéric Paques s’attarde sur le Spirou de Jijé, s’attardant avec clarté sur sa manière de faire, portant tant sur le dessin que sur la composition et la narration. Mais l’étude se fait dans une visée téléologique : c’est le canon de Franquin, pourtant postérieur, qui sert de mesure, et pas les Spirou d’avant Jijé. De même, les choix de composition de Jijé sont rapprochés d’un principe établit ultérieurement dans le magazine (le mode semi-régulier, décrit ailleurs par Renaud Chavanne, et non par Thierry Groensteen, comme l’auteur semble le penser). Dans le même registre, la conception selon laquelle une compositions usant de cases sans contour et de hauteurs non homogènes serait « déstructurée » est discutable. Renvoyons au Composition de la bande dessinée de Chavanne à ce propos. Benoît Glaude entreprend de son côté, dans un texte précis, de relever les évolutions du rôle du scénariste dans la série au travers d’une étude des dialogues. La contribution d’Erwin Dejasse sur Panade a Champignac analyse avec justesse les ressorts de l’œuvre, note la déconstruction des principes usuellement en vigueur dans la série, souligne l’agitation névrotique et le caractère maniaco-dépressif des personnages. Mélanie Tasset s’attarde sur le passage de Franquin de Spirou à Gaston Lagaffe, étalé sur plusieurs années et accompagnant l’aversion croissante du dessinateur pour le personnage emblématique du magazine. Clément Lemoine s’intéresse, lui, au personnage de Zorglub, notant que son statut n’est jamais vraiment fixé, fluctuant au gré des auteurs qui le mettent en images. Suit une lecture du Spirou inachevé d’Yves Chaland par Maud Hagelstein. Dans un article long et subtil, Pedro Moura et Benoît Crucifix observent deux productions modernes : Le Journal d’un ingénu, d’Émile Bravo, et le Groom vert-de-gris, de Yoann et Schwartz.
Globalement, le livre est une construction collective, élaborée à partir d’interventions disparates, comme le sont souvent les ouvrages universitaires résultant d’un colloque. On ne peut pas réellement parler d’une réflexion s’organisant de concert, mais il n’en reste pas moins que l’architecture de l’ensemble a fait l’objet d’une pensée préalable et que les textes se soutiennent les uns les autres. L’ensemble évite le recours au jargonnage universitaire, ce qui est fort appréciable.