Entretiens avec Lewis Trondheim

Prenant la suite de Numa Sadoul, Thierry Groensteen s'engage ici dans un second long entretien après celui réalisé en 2013 avec Joann Sfar. La conversation s'attarde sur la pratique du dessin, sur le perfectionnisme de Lewis Trondheim et sa volonté constante d'améliorer son travail, mais aussi sur les projets qu'il entreprend dans l'intention explicite de travailler un aspect bien particulier de la technique graphique (le décors, le mouvement, l'application du noir, la couleur ou encore la composition de l'image). Cette volonté persistante de perfectionnement graphique est décrite par Trondheim comme un combat contre lui-même. Pourtant, Trondheim estime que les sensations les plus puissantes ne lui viennent pas tant du dessin que des histoires qu'il raconte. Excitation, auto hypnose, drogue, jouissance sont les mots qu'il emploie pour évoquer ce que lui procure cette aspect de la création. Il faut noter la propension de Lewis Trondheim à se décrire de manière contradictoire. Ainsi, il s'estime à plusieurs reprises paresseux alors qu'il est décrit comme un travailleur acharné (le livre commence par une affirmation de Groensteen selon laquelle Trondheim aurait plus de 180 livres derrière lui, soit 6 livres par ans sur trois décennies). C'est ce même artiste à qui l'on doit un livre intitulé Désœuvré et qui annonce avoir pris ses précautions pour pouvoir arrêter de travailler dans quelques années : on pressent ici quelque chose qui n'est pas explicité ni formulé, mais qui semble bien profondément ancré dans la pratique de l'auteur. C'est une des limites de l'entretien de ne pas fouiller de ce côté.
De fait, on n'est pas vraiment surpris par la tournure que prend la conversation, qui consiste essentiellement à aborder l'œuvre de Lewis Trondheim en passant d'un livre à l'autre, d'une série à l'autre. Il faut dire que Trondheim ne souhaite manifestement pas s'engager sur des terrains moins fermes. À deux reprises au moins il entrebaille des portes qu'il s'empresse de refermer. Quand il évoque ses problèmes de santé, puis quand il aborde certaines « expériences hors normes » qu'il aurait vécues (« sortie de mon corps », « prémonitions »). Il faut dire que l'interviewer est parfois maladroit, comme quand il questionne l'artiste sur sa propension à dessiner des monstres : « Et les monstres ? Si tu en introduits autant dans tes histoires, ce doit être lié à une fascination remontant à l'enfance, non ? ». Peut-être l'amitié qu'il entretien avec Trondheim le retient-elle d'aller plus loin.
Enfin, remarquons encore qu'on découvre en lisant ces Entretiens avec Lewis Trondheim un artiste en prise avec les problématiques économiques. S'il n'hésite pas à se lancer dans des projets sans avoir la moindre idée de l'accueil qu'ils vont recevoir, tant chez les éditeurs que dans le public, bon nombre d'autres sont entrepris après examen de la réception qu'ils pourront connaître et des gains qu'ils seront susceptibles de procurer. Tondheim s'en explique avec précision, quoique sans s'étendre (ce qui est sa façon de faire en général), notamment lorsqu'il aborde ses travaux publicitaires.